"Il faudra aller plus loin" : l'accord de la COP28 sur les énergies fossiles est-il vraiment historique ?

Publié le 13 décembre 2023 à 12h00

Source : JT 20h Semaine

Les pays du monde entier ont approuvé, mercredi, une décision appelant à une "transition" vers l'abandon des énergies fossiles.
Il s'agit d'une première dans l'histoire des conférences sur le climat de l'ONU.
Pour autant, des critiques subsistent.

Ils auront finalement réussi à s'accorder sur un texte. Mercredi 13 décembre, après un projet d'accord largement décrié présenté la veille et une nuit de prolongation des négociations, les pays du monde entier ont approuvé, à la COP28, un accord qualifié par le président émirati Sultan al-Jaber "d'historique". Le texte, issu de douloureuses négociations, a été adopté par consensus à Dubaï, aucune voix ne s'élevant parmi les quelque 200 nations représentées en séance plénière. TF1info fait le point de ce qu'il faut retenir de cet accord, qui a pour objectif de limiter la hausse des températures mondiales en dessous de 1,5°C. 

Pourquoi l'accord est-il historique ?

Dès l'annonce de l'accord, Sultan al Jaber a estimé qu'il représentait une "décision historique pour accélérer l'action climatique". En effet, le texte est le premier issu d'un sommet de l'ONU sur le Climat qui mentionne les énergies fossiles, en appelant à "transitionner hors des énergies fossiles dans les systèmes énergétiques, d'une manière juste, ordonnée et équitable, en accélérant l'action dans cette décennie cruciale, afin d'atteindre la neutralité carbone en 2050 conformément aux préconisations des scientifiques".

Une première, puisqu'à ce jour, seule la "réduction" du charbon avait été actée à la COP26 à Glasgow. Jamais le pétrole ni le gaz n'avaient été désignés. Dans un communiqué, la ministre française de la Transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher, a ainsi salué une "victoire du multilatéralisme et de la diplomatie climatique". "Cet accord est un bon accord. Pour la première fois, une COP appelle à une sortie des énergies fossiles. C'est une victoire pour la France, pour l'Europe et pour le climat", a-t-elle affirmé. Emmanuel Macron, lui, a salué un accord qui représente "une étape importante" en engageant "le monde dans une transition sans énergies fossiles, en triplant les renouvelables et en reconnaissant le rôle clé du nucléaire. C'est une première et une avancée pour le respect de l'accord de Paris". 

De son côté, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen a salué un accord "historique" qui "marque le début de l'ère post-fossiles". Satisfaction aussi du côté des ONG. "Si Glasgow était la première fissure dans le barrage avec l'appel à réduire le charbon, maintenant, c'est une grosse rupture avec l'extension au pétrole et au gaz", s'est félicité auprès de l'AFP Alden Meyer, du groupe de réflexion E3G. "Les Saoudiens essaient de colmater furieusement le barrage, mais le sens de l'histoire est clair", juge-t-il.

Arnaud Gilles, chargé du plaidoyer climat-énergie au WWF France a, de son côté, salué le fait qu'un "tabou est tombé", et ce "après 30 ans de négociations climatiques". "L'accord adopté appelle pour la première fois les pays du monde entier à se détourner des énergies fossiles", s'est-il félicité, nuançant toutefois son propos dans un communiqué : "Mais il faudra aller plus loin en actant la sortie complète du pétrole, du gaz et du charbon. Et surtout, il faudra se débarrasser des supercheries climatiques qui parasitent la lutte contre le réchauffement climatique, sous la pression des lobbys fossiles et de plusieurs pays".

Des termes historiques, mais des demandes ambigües

Car si la mention des "énergies fossiles" dans le texte est une première, des voix s'élèvent pour mettre en lumière les manquements d'un texte de "compromis". "L'accord de Dubaï prévoit de nombreuses entorses au règlement, comme l'usage de technologies douteuses et des références aux 'énergies peu carbonées' comme le gaz. La diplomatie n'en a pas fini avec la langue de bois, mais veut en finir avec les énergies fossiles", a ainsi estimé Arnaud Gilles. 

Car contrairement aux appels de nombreux pays et ONG, le texte signé ce mercredi ne demande pas explicitement une "sortie" du pétrole, du gaz et du charbon. En choisissant le terme de "transitionning away" qui peut se traduire en français par "transitionner hors de", "s'éloigner" ou "abandonner", le texte ne parle plus de "phase-out" ("sortie") de ces énergies hautement émettrices de gaz à effet de serre, un terme qui cristallisait les tensions depuis des mois. Il ne fixe pas, non plus, d'objectifs clairs, laissant à chaque État le soin de définir sa propre politique sur le sujet. Selon une source proche du président émirati, interrogée par l'AFP, le texte a en effet été finement "calibré" pour tenter de réconcilier les points de vue opposés, et notamment éviter un blocage de l'Arabie saoudite, tout en laissant volontairement un peu d'ambiguïté dans les formulations pour que chacun y trouve son compte.

Preuve de cette ambiguïté, l'Arabie saoudite, partisane d'une ligne dure qui refusait toute mention d'une sortie des énergies fossiles, a salué "le grand succès" de la conférence sur le climat de l'ONU présidée par les Émirats arabes unis. "Le groupe arabe exprime sa gratitude envers les grands efforts de la présidence émiratie et de son équipe", a déclaré le Saoudien Albara Tawfiq, qui préside le groupe arabe à l'ONU Climat, mettant en avant la mention des technologies de captage et de stockage de carbone, solutions décriées, mais farouchement défendues par les pays pétroliers pour continuer à produire des hydrocarbures.

Preuve encore des défauts de l'accord, le secrétaire général de l'ONU s'est gardé de qualifier le texte "d'historique" sur X (ex-Twitter). Regrettant "l'opposition" de certains à une "sortie des énergies fossiles", il a appelé à mettre fin à cette ère "avec justice et équité" tout en espérant que cette dernière "n'arrive pas trop tard". Même inquiétude de la part de l'alliance des petits États insulaires (Aosis), premiers menacés de disparition à cause du réchauffement climatique, qui a à la fois salué une "amélioration" par rapport aux précédentes propositions d'accord tout en signalant des "inquiétudes". D'autant que le coup de maillet pour adopter le texte a été donné... sans la présence de l'Alliance dans la salle.

Sur France inter, Valérie Masson-Delmotte, paléoclimatologue et membre du Haut conseil pour le climat, a de son côté pointé que "les promesses [qui figurent dans l'accord, NDLR], si elles se réalisent toutes, impliqueraient une baisse de 5% des gaz à effet de serre à l'horizon 2030, alors que pour limiter le réchauffement largement sous 2°C, voir à 1,5°C, il faudrait une baisse de 43%", déplorant certaines limites du texte comme "les financements pour le déploiement des alternatives aux énergies fossiles et les financements pour l'adaptation avec un objectif mondial qui reste faible". 

"Une raison d'être optimistes"

Au-delà des énergies fossiles, le texte contient plusieurs avancées, et des appels liés à l'énergie : tripler les capacités d'énergies renouvelables ou encore doubler le rythme d'amélioration de l'efficacité énergétique d'ici 2030. Concernant l'autre gaz à effet de serre crucial pour lutter contre le changement climatique, le méthane, le texte appelle à en diminuer les émissions sans toutefois donner d'objectif chiffré. Ce qui fait dire à l'ONG Greenpeace sur Twitter que la COP28 n'a pas "abouti à l'accord historique dont nous avions besoin" mais tout de même à un "signal que l'industrie fossile redoutait : la fin de l'ère des combustibles fossiles, accompagnée d'un appel à développer massivement les énergies renouvelables et l'efficacité énergétique". 

Malgré les critiques, l'émissaire américain pour le climat, John Kerry, a ainsi tenu à tempérer les choses : "Je pense que tout le monde sera content que, dans un monde secoué par la guerre en Ukraine et au Moyen-Orient et tous les autres défis d'une planète qui patauge", il y ait "une raison d'être optimiste, d'avoir de la gratitude et de se féliciter tous ensemble ici", a-t-il déclaré après la publication du texte. 


Annick BERGER

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